Le groupe dans l’éducation spécialisée
Depuis
les deux lois cadres du 30 juin 1975, tous les textes législatifs suivants,
concernant l’accompagnement social ou médico-social de personnes (et notamment
les deux dernières lois 2002-2 et 2005-102), ont accentué, tour à tour, l’idée
d’individualiser les projets de chacune des personnes.
Cependant,
nombres d’enfants et d’adolescents en difficultés ou présentant un handicap
sont encore accueillis et accompagnés en structures collectives.
Le
groupe demeure donc, aujourd’hui, un lieu incontournable et privilégié de la
prise en charge sociale et médico-sociale, alors comment pouvoir l’utiliser
pour qu’il demeure pertinent dans l’accompagnement au quotidien des personnes
accueillies ?
Jean
Michel BAUDE[1], écrit dans son
ouvrage “Vie Collective” [2],
en introduction à son chapitre “le groupe et d’éducation spécialisée”
: “bien que s’adressant à des individus au singulier, l’action en éducation
spécialisée est le plus souvent médiatisée par une intervention dans, par, et à
travers le groupe”.
Aussi
rappelle-t-il que les éducateurs, où qu’ils soient amenés à exercer leurs
actions spécifiques ont, à un moment ou un autre, à faire, à agir dans une
collectivité quelle qu’elle soit.
Alors,
l’éducateur,“à partir du moment où il agit de façon impliqués dans une aux
collectivités éducative, dans un groupe (enfants, adolescents, adultes),
partageant des buts et des normes communes doit s’interroger sur l’organisation
du groupe, sur sa position, ses fonctions, (...) ses rôles d’animateur”[3],
si tant est que le groupe soit un lieu d’actions sur la personnalité, un lieu
de socialisation, de réalisation, d’expression, de rencontre, d’identification
et d’intégration des normes...
La
psychologie sociale et plus spécifiquement les travaux de Kurt Lewin autour de la “dynamique de groupe” ont mis en
évidence, des processus essentiels à la compréhension des interactions des
individus entre eux, mais aussi la place fondamentale du groupe dans
construction et la structuration du sujet.
Alors,
dans l’éducation spécialisée, le groupe ne doit-il pouvoir être appréhendé et
utilisé comme un réel support (privilégié et en lien avec un principe de
réalité[4]) à
l’accompagnement de chacune des personnes que l’éducateur accompagne ?
Il
s’agit bien ici de pouvoir s’appuyer sur des références psychosociales pour atteindre progressivement le soutien
individualisé des personnes.
Concrètement,
le groupe participe à la construction des individus, il s”y joue en effet,
comme l’explique Jean Michel BAUDE[5]
de nombreux « phénomènes
d’identification »… - chaque membre du groupe participe consciemment
ou pas à la progression des autres…
Il
implique, de fait, une idée-force de “place à trouver”, et à tenir, où chaque
personne est amenée, à situer et proposer ses demandes en fonction de celles
des autres, à apprendre à différer, à patienter...
Le
groupe devient progressivement un réel miroir[6], amenant
chacun à progressivement entrevoir et se représenter ses désirs, ses besoins,
ses difficultés, son comportement...
Il
se définit aussi, au fil du temps, comme une entité de reconnaissance ou chacun
y trouve une place, permettant de tenir, de s’appuyer et d’exister ensemble.
Le
groupe peut alors s’inscrire dans un dynamique (observée et définie par K.
Lewin) qui pourra l’amener à trouver, face aux différentes tensions de la
vie quotidienne un équilibre appelé homéostasie, préservant, contenant,
rassurant chacun des membres...
La
dynamique de groupe peut alors permettre une émulation ainsi qu’une mise en
pratique des situations, un lieu où la personne peut accepter (car accompagnée
et soutenue) de changer avec les autres...
De
par son histoire quotidienne, il devient un lieu de prise responsabilité,
d’échange, d’écoute, de partage (mais aussi de conflit à apprendre à gérer).
Enfin,
il est porteur de normes, ayant une fonction d’étayage (d’autant plus important
pour des personnes dont le moi et le Surmoi défaillant).
Alors,
l’éducateur en charge de ce groupe assure un rôle essentiel de soutien du Moi
(comme l’explique Fritz REDL dans son ouvrage “L’enfant agressif- Le
Moi désorganisé” [7]).
Il
est, au même titre que les autres membres du groupe, un objet identificatoire
et de projection.
Apportant
un sentiment de sécurité pour les personnes du groupe, il distribue et permet
la créativité et l’expression des “maux”.
Il
insuffle du désir et produit de la cohésion (favorisant un climat de confiance,
régulant le conflit, valorisant chacun des membres...).
Le
groupe ne doit pas cependant être une fin en soi.
Il
est, tour à tour (parfois en même temps) un mode de fonctionnement, un élément
éducatif, un outil de médiatisation, un tiers possible, une réalité
sociétale...
Il
s’agit bien, au travers du, des groupes, d’accompagner les personnes sur un
parcours qui leur est propre, en fonction de leur besoins et capacités...
Alors
le groupe peut être un révélateur des individualités.
Car
si nombreux sont les établissements du secteur médico social à accueillir leurs
usagers sur la base d’une prise en charge en groupe comment les éducateurs en
charge d’usagers peuvent-ils utiliser cet outil, afin de mieux observer,
connaître ceux ci, ou, comment peuvent-ils voir l’individuel dans le collectif
?
Au
delà de ce mode de fonctionnement répondant à des impératifs financiers, le
groupe s’avère être un réel outil pédago-éducatif dans l’accompagnement des
personnes en difficulté.
Les
travaux de Kurt Lewin et Jacob Lévi Moreno ont pu largement le
démontrer.
Néanmoins,
Si le groupe définit un ensemble de personnes (les usagers) aux besoins
similaires, mais aussi différents, vivant ensemble, il est aussi (et surtout
!)le théâtre d’interactions (cf. K. Lewin) d’une vie relationnelle
importante.
C’est
peut-être à partir de ces interactions, de ces différentes relations que
l’éducateur spécialisé pourra, aura à observer chacune des personnes prise en
charge.
La
vie en groupe, le “vivre en ensemble”, impose de fait, des règles, des codes de
conduite, des contraintes relationnelles, à même de détecter les difficultés
individuelles de chacun de ses membres.
L’éducateur
pourra ainsi repérer dans la vie du groupe, dans le quotidien, “l’infra-ordinaire”
(disait même Georges Perec), dans les différentes interactions qui
régissent la vie de tous les jours, la capacité pour chacune des personnes
accompagnées à être en relation à pouvoir écouter l’autre partager, aider, mais
aussi accepter l’aide...
Dans
son travail d’accompagnement à l’autonomisation, au maintien des acquis (pour
les personnes gravement handicapées), il pourra observer, à partir des
différents actes de la vie quotidienne (et en groupe) la capacité de chacun à
se différencier, à trouver une place singulière, à se positionner, à faire des
choix, à être seul, tout en vivant ensemble...
La
contingence de la vie en groupe pourra aussi permettre à l’éducateur spécialisé
dévaluer la capacité de l’usager à attendre, à accepter de différer ses
demandes au bénéfice d’autres (repérant ainsi sa tolérance à la frustration)...
Au
niveau de la dynamique de groupe, et il pourra être intéressant d’observé la
place que chacun prend, pour mieux comprendre sa personnalité et son rôle
(leader, boucs émissaires, position de soumission...).
Enfin
dans un groupe à la verticalité d’âge, l’éducateur pourra évaluer la capacité
de l’usager à se repérer vis-à-vis de ses paires à un niveau générationnel,
mais aussi la capacité à prendre des responsabilités, des initiatives...
Aussi,
les temps du quotidien (lever, repas, soirée...) seront autant de temps où,
pris dans leurs actions et leur vie relationnelle, les personnes prises en charge
pourront montrer leurs difficultés et besoins propres (difficultés à s’inscrire
dans un jeu, à accepter la contrainte, troubles alimentaires, relationnels,
difficultés de séparation...).
Le
groupe pourra donc bien être ici révélateur de leur personnalité singulière.
De
nombreuses et importantes expériences ont pu montrer que le groupe (à condition
d’en comprendre ses mécanismes, et de l’utiliser comme un réel outil
éducatif...) peut être un support important de l’éducation spécialisée et la
prise en charge sociale et médico-sociale, permettant d’observer, mais aussi de
rencontrer pour accompagner la personne singulière...
C’est
peut-être d’ailleurs ici que le projet individualisé prend tout son sens dans
une prise en charge groupale.
Dans
ce contexte, le groupe peut se déterminer, pour l’éducation spécialisée, comme
un lieu privilégié où les usagers apprendront, expérimenteront l’altérité afin
de s’individuer...
[1] Jean- Michel BAUDE est responsable du Centre d’Éducation Spécialisée et de Clinique Éducative de l’IRTS de Marseille
[2] “VIE COLLECTIVE” - “Théories & Pratiques sociales” - Jean- Michel BAUDE - Librairie Vuibert - Paris 2002
[3] Ibid.
[4] L’objectif premier du groupe vise à donner aux enfants une autonomie
sociale la plus grande possible
[5]
Ibid.
[6] Ibid.
[7]
“L’enfant agressif- Le Moi désorganisé” - Fritz REDL - Fleurus Pédagogie
Psychosociale - Paris 1964